Amanda Goicovic est une tisserande et brodeuse plasticienne née au Chili. Elle est installée depuis 9 ans en France. En résidence depuis plusieurs mois à La Réunion, elle présente JOUR, au 12 la galerie. Une exposition, fruit de sa rencontre avec La Réunion et avec, notamment la broderie de Cilaos...
Tu travailles essentiellement le textile en tant qu'artiste et tu mènes un travail de recherche sur l'art textile à l'Université Paul Valéry de Montpellier...
Je suis née au Chili en Amérique du Sud. J'ai grandi dans un milieu où je n'avais pas vraiment accès à la culture. En fait, mon travail artistique n'a commencé qu'en France, où je suis installée depuis 9 ans. C'est dans mon exil que j'ai pris conscience du patrimoine précolombien textile et de son héritage contemporain, de l'importance de se souvenir de ces choses qui ne s'écrivent pas. Au Chili, les techniques traditionnelles qui ont configuré la vie des peuples avant la colonisation, ne sont pas assez présentes dans la culture chilienne post-coloniale. En tant qu'artiste mais aussi en tant que doctorante, je m'intéresse aux questions du temps, de la mémoire et de la division entre travail manuel et intellectuel dans le domaine des arts plastiques.
Ton travail s'attache au temps, à la mémoire, aux gestes dont on hérite et que l'on transmet. Comment as-tu découvert la broderie de Cilaos ?
Mon travail est une perpétuelle recherche pour sauver la mémoire des gestes. Je tisse et je brode sur des supports que je construis. J'essaie de rendre visible l'accumulation des gestes lors de la création des choses, pour rappeler l'importance de sauver les gestes pour sauver la mémoire.
Quand j’ai commencé mes recherches pour ma thèse, je me suis beaucoup intéressée à la manière dont on travaille le textile. On valorise souvent le textile pour sa dimension picturale. Mais j'ai voulu aussi m’intéresser à la manière dont les techniques textiles peuvent créer des structures et se rapprocher des médiums comme la sculpture. Dans la broderie, on ajoute de la matière pour modifier la structure de la toile. Et il y a aussi des techniques de broderie où l’on doit enlever de la matière pour construire des motifs. C’est le cas de la broderie blanche, technique à l’origine de la broderie de Cilaos. C'est en faisant ces recherches que j'ai découvert les "jours" de Cilaos. C'est aujourd'hui une technique qui se perd comme beaucoup d'autres savoir-faire un peu partout. Les nouvelles générations découvrent des nouveaux métiers tournés vers le numérique et s'éloignent des modes de transmission traditionnels. En étant étrangère à ce territoire, j'ai trouvé qu'il était important d'apprendre et d'ensuite essayer de transmettre ce savoir-faire ailleurs qu'à La Réunion, là où cette pratique n'existe pas ; au moins pour continuer à faire vivre ces gestes, pour se souvenir qu'ils existent.
- Quel regard portes-tu sur le territoire ? Comment se sont passés ces quatre mois de résidence sur notre île ?
Il ya pour moi, dans la broderie de Cilaos, une dimension conceptuelle que je mets en lien avec ma vision du territoire. Je dis souvent que je n'ai perçu La Réunion qu'à travers les petites fenêtres des toiles ajourées des broderies. De la même manière j'ai eu l'impression d'être confrontée à une certaine opacité, quand j'ai cherché à comprendre le tissu social réunionnais... Certaines choses apparaissent, un peu en transparence, mais la réalité n'est entrevue qu'à travers certains prismes, certaines petites fenêtres, comme dans la broderie ! Mais je n'appartiens pas à ce territoire et je peux que dialoguer en échangeant les gestes que je connaissais déjà avec ceux que j'ai appris ici, à Cilaos, avec Colette Turpin, la brodeuse Meilleure Ouvrière de France qui m'a formée.
Le travail que j'ai développé ici a vraiment été conçu comme un dialogue avec le patrimoine réunionnais. Un dialogue où j'ai traduit l'expérience vécue avec des gestes et de la matière. Durant cette résidence à La Réunion, je suis aussi beaucoup intervenue par exemple, en milieu scolaire et là aussi, tout a été affaire de traduction et de point de vue.
Par exemple, avec une classe de 4ème au collège de La Marine à Vincendo, on a abordé le territoire et son image, et on a élaboré une revue fictive pour le projeter dans le futur. Avec le dispositif Ulis à l'école Lenepveu à Saint-Joseph, on a travaillé une technique simplifiée de la broderie, car l'objectif était d'améliorer leur motricité fine. Au lycée Jean Hinglo au Port, avec une classe de CAP, mon travail a fait le lien avec leur formation de couvreur-zingueur. Et puis j'ai collaboré avec une classe spécialité Arts plastiques, au lycée Bellepierre à Saint-Denis. Ces élèves ont appris les bases de la broderie de Cilaos et en ont fait des déclinaisons sous la forme de sculptures. Dans tous les cas, la broderie était le motif qui traversait tous les niveaux scolaires avec lesquels j'ai travaillé.
Enfin, pour revenir au territoire, j'ai fini par découvrir aussi que ce savoir-faire des " Jours " appartenait vraiment à un territoire précis : Cilaos. Et que cette île a beaucoup des micro-cultures, comme elle a des micro-climats ! Beaucoup de choses ont échappé à ma compréhension, mais la leçon que j'en tire c'est qu'on peut toujours dialoguer avec les gestes.
*résidences réalisées avec le soutien de la DAC Réunion dans le cadre des résidences en territoire scolaire
Le jour,
Amanda Goicovic
du 10 février au 9 mars
> Vernissage le sam. 10 fév à 18H
12 La Galerie : 12 rue Sainte-Marie, 97400 Saint-Denis
Tous les samedis de 11h à 18h, le reste de la semaine sur RDV (12lagalerie@constellation.re)
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